« L’oral de maturité »

Dès 2021, l’examen du BAC se composera de quatre épreuves écrites et d’un grand oral.

On en parle beaucoup depuis quelques semaines : le célèbre examen du lycée va changer et l’oral y est à l’honneur. 

Le BAC, on s’en souvient comme si c’était hier. Ou avant-hier.

Un moment pas franchement agréable à passer mais encore bien moins pénible que la série de partiels et d’examens à venir.

La grande nouveauté, c’est l’épreuve du Grand Oral, celui dit de la « maturité ».

Oui, il faut des épreuves orales, à l’université, à l’école, au lycée. Il faut s’habituer à parler, défendre, étayer, débattre. Mais qui dit épreuve, dit formation … Est-il possible d’envisager un cadre de validation d’acquis et donc de sanction sans envisager celui de la transmission ?

En juin dernier, nous organisions justement un temps d’échange sur la question de la place de l’oral dans la formation.

Réunissant enseignants, comédiens, avocats, cadres et médiateurs culturel, la rencontre se voulait un moment de partages d’expériences et d’idéation.

Le cadre actuel de l’enseignement laisse-t-il suffisamment de place à l’expression des élèves et des étudiants ? Comment favoriser la prise de position et le débat à l’intérieur de l’école et de l’université ? En quoi et comment l’expression orale peut-elle apporter des clefs de construction et d’orientation?

Sous la forme d’extraits de témoignages et de croquis réalisés par Irène Buigues, vous retrouverez l’ébullition de nos discussions. Les souvenirs d’école et de BTS, les angoisses, les frustrations et difficultés rencontrées dans nos métiers, les reproches que l’on a voulu formuler à l’égard de l’institution, du cadre professionnel mais aussi les trucs et astuces pour gérer son stress lors d’une prise de parole en public, des idées pour nos enfants et inventer l’école de demain…

Car “si j’avais une baguette magique, je donnerai confiance à mes élèves pour qu’ils aient une parole libre et assumée”.

L’école

Le premier souvenir de l’école qui revient est celui du prof intimidant, seul, face à la classe.

“Je me souviens de la première poésie que j’ai dû réciter : je me revois me lever de ma chaise pour aller devant le tableau, je n’entendais que mon cœur battre. »

“On prépare peu les élèves à la présentation orale, que ce soit pour les enfants qui doivent réciter une poésie, ou les plus grands qui doivent soutenir un mémoire… Ça passe à l’as… On ne leur apprend pas non plus à s’exprimer avec son corps ; on les voit alors se tétaniser, littéralement. »

“Mon histoire : j’ai fui l’oral toute ma scolarité. Mon premier oral, c’était le bac de français à 17 ans… L’expression orale c’est fondamental dans la vie de tous les jours, alors que c’est occulté à l’école. Vu qu’à l’école, on ne travaille pas là-dessus, j’ai inscrit mes filles à un cours de théâtre. »

“J’étais jury de BTS. La jeune fille a paniqué. Elle était au bord de l’étouffement, elle est passée par toutes les couleurs. Je suis sortie de mon rôle de jury pour lui dire : On est pas là pour te juger mais pour que tu nous transmette ce que tu sais. »

L’apprentissage passe aussi par l’échec

“Autoriser l’erreur, c’est encourager les personnes à se tromper pour un environnement d’apprentissage optimal.”

Il y a une pression dès le départ ; celle de “l’interrogation orale” ou la peur du blanc.

« S’exprimer est une punition, qui vient sanctionner les connaissances. On est obligé de parler sur des sujets dont on a pas envie ; on cultive la peur de l’expression. Tandis que les bons élèves ont le droit de s’exprimer. Mes élèves évitent de s’approprier la parole quand on leur donne l’opportunité et de s’impliquer eux-mêmes. Ils font des détours, des bêtises, des blagues et portent une parole qui n’est pas toujours la leur. Surtout face aux grandes gueules. »

“Échouer, c’est important. En France, l’échec est présenté comme une honte alors que non c’est un processus. Déjà, ça veut dire qu’on a essayé. »

La question de la levée de main… Rapport inégalitaire entre le prof et les élèves ? 

Est-ce une façon de faire qui doit être abolie ? Mais quand on est timide, lever la main, n’est-ce pas un premier pas courageux vers la prise de parole ?

“Une fois, un de mes élèves s’est mis à crier et à dire que j’étais pas gentille et méchante…
Ça s’était très mal passé mais j’ai compris alors que pour transmettre au mieux, il fallait que je sois avant tout à l’écoute du groupe. La transmission dépend de ce je comprenais de leur réception.”

Comment apprendre ? Comment transmettre ?

Avec l’envie !

“L’idée, ce serait de faire comme dans les pays nordiques*, de ne pas imposer UNE façon d’apprendre mais de tenir compte de la personne. Remettre l’individu au centre de l’apprentissage, travailler sur les liens de confiance. »

* En Norvège par exemple, on met l’accent sur l’élève, ses choix de matières et son niveau, les âges sont mélangés et des parcours particuliers sont proposés aux élèves handicapés ou immigrés maîtrisant encore mal le Norvégien.

“Le problème à l’école, c’est qu’il y a une restriction du langage. Le cadre d’apprentissage ne favorise pas le débat. On est manichéens. On apprend à raisonner en bien et mal, en interdits. Il n’y a pas de nuances. Et donc on restreint le langage et la pensée en même temps. Par exemple, on reprend les gamins sur leur argot sans les pousser à enrichir leur vocabulaire autrement. On restreint le langage et la pensée aussi . Car plus on a de mots plus on peut partager, plus on peut décrire de concepts complexes et développer sa pensée.”

Comment permettre une meilleure expression ?

  • “ Créer du débat dans les classes ! Aider les profs à lancer les débats, à avoir une posture de facilitateur et à laisser les élèves débattre entre eux.”
  • “Créer des minis-groupes pour que les enfants échangent entre eux, avec un rapporteur pour restituer. ”
  • “Il faudrait réorganiser l’espace de la classe. »
  • “Je rendrai le théâtre obligatoire à l’école, dès la maternelle, dès qu’on apprend à vivre en société en fait. »

Le monde professionnel

“Dans mon univers professionnel, il y a beaucoup d’ingénieurs, de cerveaux gauche…

Dans les réunions, la parole n’est pas spontanée. Le poids de la hiérarchie, les jeux de pouvoir brident la parole. En réunion ou en formation : des gens levaient la main, c’est dingue ! Il n’y a pas de légitimité à prendre la parole… Si jamais une baguette magique, je donnerai des règles en disant : Il n’y a pas de censure, plus de hiérarchie, il n’y a pas de mauvaises idées. »

“On est face à des grandes gueules : on ne se sent pas à sa place face à eux. C’est dans le rapport à l’autre, on se sent en-dessous, alors dans les réunions on se hiérarchise. Il y a les mecs qui parlent beaucoup (ou même des femmes) et puis les autres… »

« En tant que consultante, j’ai donné des formations sur un logiciel . Face à l’auditoire, très vite je n’avais plus rien à dire. Le vide. Impression de tomber en chute libre, de me prendre un mur. Je n’avais pas suffisamment d’expérience pour parler de l’utilisation concrète. Si je n’ai pas l’expérience, je ne peux rien transmettre. »

Vous avez dit légitime ?
“L’aisance est liée à la légitimité.”

“Difficile de trouver cette légitimité : la légitimité sur un sujet n’est pas l’expertise mais l’importance qu’on lui accorde. Je suis légitime à en parler car c’est quelque chose qui me préoccupe, qui me parle même si je n’ai pas l’expertise. »

“Aux US, j’ai aimé le tutoiement. Parler de la même manière à n’importe qui. Plus de notion de classe social ou de statut, surtout la rencontre avec quelqu’un. Le tu et le vous provoque un changement d’attitude.”

“Jusqu’à il y a 3 ans, je m’exprimais pas. Et j’ai pris un job où l’on attend de moi à ce que je m’adresse en public aux équipes en interne et comme en externe. La boss a considéré que cela pouvait s’apprendre et qu’elle pouvait m’embaucher. »

Et comment ça se travaille ? [Si t’as la voix qui tremble t’es foutu !]

Comme les acteurs, en s’ancrant dans le sol : “En prenant des cours avec une chanteuse d’opéra.”

L’expression orale, c’est de l’expression corporelle.

« Au CELSA, on apprend ça : 80 % du message passe au-delà des mots (regards, posture, ton, voix, mains). »

« Il faut reconnecter sa voix avec son corps, le corps donne le rythme : Tu trouves un geste qui donne le rythme, si tu respectes ce rythme tu ne mangeras pas les mots. »

Oui mais … “la performance oratoire, art ou technique ?”

“Le théâtre a changé ma vie. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun symptôme de timidité ; certaines inhibitions en improvisation peut-être, qui sont liées au besoin de créativité, mais sur mes sujets à moi, dans le cadre professionnel, je n’ai plus aucune inhibitions.”

“Le trac c’est l’une des meilleures chose au monde. J’ai appris à en faire quelque chose qui se contrôle et qui permet de prendre du plaisir. C’est comme un trampoline qui permet de rebondir vers le haut ou au contraire de faire un gros trou dedans. »

Boîte à outils

Avant une prise de parole en public :

  • Préparer son discours avec des mots-clefs.
  • Structurer ce que l’on doit dire ; se donner les grandes lignes.
  • Ne pas tout écrire ! Ou en tout cas ne pas LIRE face au public.
  • Répéter à haute voix , cela aide à mieux conceptualiser.
  • Pendant : présenter de manière synthétique et pédagogique, avec ou sans documents.
  • La clarté, ça ne s’improvise pas : cela doit être clair pour toi, si tu veux que ce soit clair pour les autres.
  • Chercher des regards dans le public permet de ralentir le débit de parole et d’être en connexion.

“Quelqu’un qui s’exprime bien à l’oral –au-delà de la fluidité, c’est quelqu’un qui sait raconter une histoire, qui sait émailler son discours de petits exemples, qui réussi à introduire un peu d’humour, et à entrer en empathie. »

« C’est ce qu’ils font en politique… Marine Lepen parle d’une manière simple ; les gens se sont reconnu.”

“Je travaille sur la transformation des organisations et les dynamiques d’innovation. Une question de résilience liée à l’innovation… J’ai un discours qui paraît sincère, qui n’hésite pas à aborder des choses personnelles. Je joue beaucoup sur les émotions, pour toucher les gens.”

L’empathie et l’émotion, la clef d’un discours réussi ?

Apprendre à parler mais surtout apprendre à écouter.

“On s’exprime le mieux quand on défend une idée, surtout quand cette idée est rattachée à une émotion forte.”

“Parce que je dégage une sympathie à l’oral, je me sers de mon humour, je suis dans le souci de la personne et j’ai une capacité à synthétiser. Je connais par cœur les besoins de chaque membre de mon équipe. Du coup, je suis le référent dès que le groupe est en déplacement. A chaque fois, je cherche à créer le bon lien,  à avoir le positionnement juste avec l’autre.”

En guise d’ouverture …

On parle de “prise de parole”

Il faut “prendre” la parole ;

Être dans une action, dans un mouvement. Pour cela il faut en être capable; pour en être capable, s’en sentir capable et donc légitime…*

Qu’est-ce qui nous rend légitime ? La connaissance ? L’expérience ? L’envie ?

Il semblerait qu’à l’école ou au travail, les rapports de hiérarchie qui sont institués brident la parole et finissent par reproduire des rapports de domination classique.

  • Cela peut s’observer par le temps de parole prononcées (Pour exemple, en Juillet 2017, après les élections législatives, l’assemblée nationale compte 224 femmes soit 38,8% des députés mais occupent que 4% du temps de parole des débats…)
  • Dans la structure même de la parole, par le choix de la syntaxe ou du vocabulaire traduisant l’appartenance à un groupe, un rôle ou une classe sociale (Voir les travaux du sociologue britannique Basil Bernstein** sur la sociolinguistique et la maîtrise des codes langagiers, communicationnels et donc symboliques par les classes dominantes et sur lesquels l’école s’appuie.)
  • Mais aussi dans le choix d’employer systématiquement le VOUS en signe de respect et de déférence face à un adulte qui lui vous TUTOIE.
[Prêtons également ici une attention au vocabulaire de l’univers de l’école : punition, renvoi, colles, permission, retenue, consigne, sursis, convocation…]

 Mais point de pessimisme et mettons-nous le cœur à l’ouvrage !

Placer l’expression orale au centre du système d’apprentissage, c’est mettre l’individu, son épanouissement et sa construction au centre de la pédagogie.

Veillant à lui apporter les connaissances nécessaires pour qu’il devienne un citoyen éclairé dans un monde fait d’interactions sociales dont la parole est l’une des bases de communication et d’échange.

 

*Qui est fondé en raison, en justice, en équité

** “ Des organisations sociales aux organisations linguistiques : Basil Bernstein, Langage et classes sociales. »

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